Une logique institutionnelle

Un travail vers l’Instituant

La dynamique institutionnelle, un processus créatif résultant de la tension entre « instituant » et « institué ».

Nous entendons ici l’institution comme un projet, un concept, une architecture organisationnelle, des textes constitutifs. Cette institution a, du fait même d’exister un « effet cadre »1 qui influe de manière déterminante sur les pratiques qui vont se développer en son sein. Nous dirons qu’elle institue dans le sens où elle crée par le fait même de son existence, un cadre qui délimite les exercices qui peuvent s’y concevoir, s’y développer et s’y mettre en œuvre.

Ces exercices, pratiques professionnelles reliées à une action sociale dite d’accompagnement, nous les qualifions de « cliniques2 ».

Ainsi nous pourrions énoncer :

Dans le champ de l’action sociale et médico-sociale, l’institution en tant qu’elle instaure des formes organisationnelles (institue), crée par le fait même de son existence un cadre qui délimite la clinique qui peut s’y concevoir et s’y développer.

Cet énoncé met en évidence la fonction instituante du cadre institutionnel.

 Mais dans le processus créatif que nous évoquons, un autre pôle, à l’opposé, se constitue. Nous le nommons « institué ».

Cet institué ne coïncide pas nécessairement avec la volonté instituante initiale.

L’institué nait de ce qui résiste et se singularise. En effet, l’institué, se réfère à des notions telles qu’appartenance, reconnaissance, légitimités, responsabilité, délégations, autonomie identités professionnelles ou encore investissements professionnels.

Entre ces deux moments, l’instituant et l’institué se noue une forme de contradiction ou du moins une tension productive de pensées et de projets. C’est le processus d’institutionnalisation.

C’est cette tension qui est source d’intelligence et de réinvestissements institutionnels et que l’on peut désigner par « dynamique institutionnelle ».

Cette conception peut, bien évidemment, se transposer dans l’entreprise conçue alors comme institution.

Le cadre exerce son « art » tenant l’instituant et animant l’institué.

La condition de cadre hiérarchique est de tenir une position singulière, légitimé par le montage organisationnel et la « direction ». Cette position est singulière en ce sens que le cadre est le garant du dispositif tout autant que le promoteur de la dynamique qui s’y instaure.

La question des cadres est bien celle d’être positionnés dans ce champ de l’instituant, mais à une place particulière, celle qui tient l’articulation de l’instituant avec l’institué. Le cadre est donc acteur d’un processus qui vient faire frontière et identité dans l’investissement du professionnel.

C’est d’une certaine manière, la question de l’appartenance et de la culture du service ou de l’entreprise qui vient se mettre au travail. Transposé à la fonction de cadre, cela ouvre des perspectives pour ce métier :  mettre au travail son équipe sur son objet professionnel dans le cadre délimité par la structure (association, établissement, entreprise) où s’énonce la prescription de la mission.   

Dans cette dynamique, l’institutionnalisation devient la résultante d’un processus implicite qui veille à réguler la contradiction apparente d’une dialectique que nous pouvons schématiser comme instituant/institué.

Un travail de discernement.

L’objet du travail proposé dans cette analyse de la pratique est donc de décrypter dans les situations d’encadrement l’enjeu d’appropriation institutionnelle et de dynamisation de l’équipe.

Les mots clés sont appartenance, reconnaissance, mobilisation, congruence avec motivations professionnelles. Cadre et autonomie, deux mots qui peuvent constituer un apparent paradoxe sans être contradictoires pour autant, pourvu que les champs soient clairs et la zone d’autonomie lisible. Le cadre, en effet, n’est pas un super professionnel et ne nécessite pas, bien évidemment, toute la compétence de celui qu’il encadre. Le professionnel s’en trouve missionné en délégation avec reconnaissance de sa compétence.

Enoncer les principes, trouver du commun et ensuite, à partir de situations, déconstruire, décrypter, discerner, mutualiser les conduites à tenir et partager les expériences au regard de l’objectif poursuivi.

Et qu’en est-il de l’autorité ?

Les repères précédemment énoncés ne sont qu’une partie de l’action d’encadrement, regardée de ce point de vue que nous avons nommé la « clinique du cadre ». Il est un autre domaine complémentaire et indispensable qui est celui de la relation d’autorité, la légitimation de la place d’autorité et la reconnaissance de l’autre dans les enjeux de place. En terme d’instituant, nous sommes là aussi, avec ce concept d’autorité, dans cette perspective d’institutionnalisation puisque le sens même du mot autorité est de créer, donner vie et faire advenir au statut d’auteur.

En quelque sorte il s’agit d’assembler audace et autorité3 dans le sens étymologique de ces mots-concept qui renvoient à désir et création.

Là-aussi le travail permet de s’accorder sur les repères et les points forts avec ensuite, le regard sur les situations pour comprendre et échanger sur la manière dont les évènements s’enclenchent, se cristallisent ou se fluidifient…

CE Jeanson

Décembre 2015

1 Un effet cadre « le seul fait de structurer une organisation détermine déjà le travail qui peut s’y faire. L’expression « poser un cadre » est en ce sens explicite du fait qu’il en sanctionne les contours.

2 Le terme « clinique » emprunté au registre du soin qui désigne « au chevet du patient » est ici métaphoriquement repris pour illustrer la relation d’accompagnement.

3 La référence au dictionnaire historique de la langue française nous donne, entre autres, pour « audace » le sens de vouloir et de désirer. Pour ce qui concerne « autorité » le sens proposé renvoie à Fondateur, instigateur, conseiller, garant et encore auteur.